La neurodiversité France

Transidentité : autodétermination ou droits différenciés ?

Le 17 février dernier, le magazine Le Point a publié une tribune qui appelle à « réserver les soins d’affirmation de genre aux seuls adultes », en pointant les mineurs transgenres autistes et TDAH. Sous couvert de bienveillance, elle révèle une tendance française à créer des enclaves de droits différenciés et réduits pour les mineurs concernés par les neurodiversités, bien au-delà de la question de l’identité de genre.

Les mineurs autistes et TDAH seraient-ils incapables de déterminer ce qui est bon pour eux, incapables de comprendre leurs ressentis profonds et de consulter les réseaux dits sociaux avec du recul ? Rien ne le démontre.

Y a-t-il une « surreprésentation » de mineurs transgenre autistes et TDAH ?

Oui, une surreprésentation de personnes transgenre autistes et TDAH est reconnue et attestée par plusieurs équipes scientifiques. On peut citer l’étude de Annelou C. de Vries à Amsterdam, publiée en 2010, ou encore celle de John F. Strang et ses collègues, publiée en 2014 (Increased gender variance in autism spectrum disorders and attention deficit hyperactivity disorder. Arch Sex Behav. 2014 Nov;43(8):1525-33. doi: 10.1007/s10508-014-0285-3).

Il y a donc plus de personnes autistes et TDAH se déclarant transgenre que la moyenne de la population. Mais les raisons de cette surreprésentation restent à ce jour inconnues. Et c’est à partir de là que la tribune du Point prend parti, en s’appuyant sur… une hypothèse battue en brèche.

L’hypothèse ROGD, c’est quoi ?

La tribune du Point crédite l’hypothèse non-démontrée de la « transition de genre à apparition rapide » (ou ROGD), formulée par Lisa Littman en 2018 sur la base d’étude de forums de parents opposés à la transition. Cette hypothèse prétend que les mineurs, tout particulièrement les adolescents, seraient susceptibles de transitionner en s’identifiant à des discours transaffirmatifs sur les réseaux dits sociaux. L’hypothèse du ROGD de Littman n’a cependant pas été répliquée par d’autres équipes de recherche.

Cette étude a même été discréditée par de nombreuses analyses secondaires indépendantes, par exemple celle de Greta R. Bauer, qui arrive à une conclusion inverse à celle de Littman (https://www.jpeds.com/article/S0022-3476(21)01085-4/fulltext).

Est-ce qu’il y a plus de détransitionneurs autistes et TDAH ?

Ensuite, la tribune du Point laisse entendre que les mineurs autistes et TDAH seraient plus susceptibles de réaliser de mauvais choix en ce qui concerne la détermination de leur identité de genre, et compteraient davantage de « détransitionneurs », une autre hypothèse non-étayée scientifiquement. Les détransitionneurs existent, mais il n’y a pas de données étayant une surreprésentation de détransitionneurs autistes, TDAH, ou d’autres neurodiversités.

L’existence des détransitionneurs n’a donc pas à être instrumentalisée pour réduire l’autodétermination des mineurs trans autistes et TDAH. De plus, d’après une étude sur 100 détransitionneurs, dans 23 % des cas, la détransition est motivée par le harcèlement transphobe, et dans 55 % des cas, l’information donnée par les médecins avant les soins transaffirmatifs était considérée comme insuffisante : https://link.springer.com/article/10.1007/s10508-021-02163-w).

Quels sont les soins transaffirmatifs proposés aux mineurs ?

Il en existe essentiellement deux :

  • La prescription de bloqueurs de puberté
  • Les torsoplasties (interventions sur la poitrine), autorisées à partir de l’âge de 16 ans.

À ce jour, il n’est pas prouvé que la prescription de bloqueurs de puberté aux adolescents transgenre reposerait sur une balance bénéfices-risques défavorable, ni qu’ils auraient des effets néfastes à long terme. De plus, l’action des bloqueurs de puberté est réversible. Leur rôle est de permettre à un adolescent en questionnement d’avoir le temps de déterminer son genre, en retardant les modifications corporelles propres à la puberté.

Quant aux torsoplasties, leur nombre est faible, et elles ne sont proposées qu’après plusieurs rendez-vous médicaux. D’après le rapport Picard-Jutant-IGAS, en 2020, seules 48 torsoplasties ont été réalisées pour des mineurs trans, dans toute la France : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sante_des_personnes_trans_2022.pdf

L’âge d’autorisation des torsoplasties est supérieur à celui de la majorité sexuelle. Tout adolescent est donc légalement autorisé à décider de sa pratique sexuelle avant même d’avoir le droit de disposer de son corps. Quel paradoxe !

L’autodétermination des mineurs doit-elle être conditionnée à l’absence de diagnostics de TSA et de TDAH ?

Au vu des informations scientifiques disponibles, aucune donnée médicale ne permet de soutenir des droits différenciés (et réduits) pour les mineurs trans autistes et TDAH. Ni l’autisme, ni le TDAH ne se caractérisent par une altération du discernement.

Il est inquiétant de constater qu’une association de « personnes autistes » décrite comme « représentative », et comportant le mot « autodétermination » dans son sigle, ne défende pas l’autodétermination des mineurs autistes, mais plutôt leur maintien dans le sexe assigné à la naissance par une autorité médicale et/ou parentale, et ce au nom d’une « vulnérabilité » non-démontrée, évidemment « pour leur bien ».

Sous couvert de bienveillance et de protection, cette tribune demande une réduction de l’autodétermination des mineurs autistes et TDAH. Dans un contexte où moins de libertés individuelles leur sont accordées, est-il bon de créer pour eux une enclave de droits différenciés ?

En tant que personnes (entre autres) autistes et TDAH, nous considérons que l’identité de genre est une question individuelle, et que se préoccuper des transitions de mineurs ne constitue pas une urgence. Les dénis de droits des personnes autistes et TDAH nous préoccupent bien davantage. Nous aurions besoin de mobilisation, par exemple, pour lutter contre les agressions sexuelles des mineurs autistes. Pourquoi se préoccuper de 48 torsoplasties annuelles, dans un contexte où environ la moitié des femmes adultes autistes actuelles déclarent avoir été victimes d’agressions sexuelles lorsqu’elles étaient mineures ? (https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnbeh.2022.852203/full)

Enfin, parmi les signataires de la tribune du Point, une grande majorité ne sont pas des personnes autistes et/ou TDAH, et s’appuient sur une autorité médicale ou associative pour prétendre décider à la place des personnes concernées de ce qui est bon pour elles.  « Aider » le mineur autiste ou TDAH  à « accepter » de vivre avec un corps qui ne correspond pas à son identité de genre, est-ce vraiment l’aider ?

À la Neurodiversité France, nous estimons que « ne pas nuire », c’est d’abord ne pas créer d’enclave de droits différenciés et réduits pour les mineurs autistes et TDAH. La création de droits différenciés reviendrait à reconnaître le principe d’une hiérarchisation des droits des mineurs sur la base de leur neurodiversité comme fondé. Et donc, à créer une hiérarchie entre citoyens sur la base de la capacité à disposer de son corps.

6 réflexions sur “Transidentité : autodétermination ou droits différenciés ?”

  1. Ce serait bien quand on a des articles pour des revendications comme celles-ci de mettre l’ auteur, histoire un peu d’assumer ses idées. Ça me rappelle le site l’ autisme vaincra qui écrit ses Billets sous des pseudos.

  2. Chloé AVRILLON

    La « surreprésentation » de nous, autistes, dans la transidentité est pourtant évidente : nous sommes moins influencés par les codes sociétaux parce que moins imprégnés, et le mensonge ou « tricher » nous est insupportable (encore plus vis à vis de nous même).
    Pas surprenant donc que nous soyons d’avantage que des « neurotypiques » à vivre nos vies telles que nous nous sentons être dans nos intérieurs. Clairement, c’est le reste du monde qui est bien malade et qui se travesti en permanence dans le jeu des apparences, jusqu’à la névrose maladive de se sentir dans une « normalité » qui n’est que la sienne et totalement en manque d’empathie.
    Compris cela on comprend la bêtise de considérer l’hypothèse ROGD en considérant les neuroatypiques comme « influencés » par quoi que ce soit d’extérieur.
    Les études, orientées, ne prennent la neuroatypie et la transidentité que sous le spectre de la maladie mentale, considèrent honteusement et dans un dégueulasse moyen-ageux encore de nos jours que l’autisme est un manque d’empathie (alors que c’est tout l’inverse ! c’est un trop plein d’empathie qui génère un trop plein émotionnel vite ingérable, ce qui explique aussi les détransition sous le joug de la pression sociale), et fatalement, ne trouvent rien du tout parce que regardent ailleurs en étant totalement étanches à ce que nous répétons sans cesse !
    Ce même genre de chercheur on fait les sourds de la même façon avec les trans et le répètent aujourd’hui avec les neuroatypiques, certainement pour se rassurer eux même d’une « normalité » dont ils pensent faire partie, qui leur échappent de plus en plus et qui donc leur fait peur (à tort).
    Pour le reste de l’article, je vous rejoint tout à fait et vous en remercie.
    Coup de gueule d’une Aspi.

    1. L’apathie est aussi un trait autistique qui rentre en contradiction avec l’empathie citée dans certains cas autistiques mais qui revêt plus de l’hypersensibilité. Je trouve donc cette réponse un peu trop généraliste.
      Les autistes n’ont pas les codes de la société. Il est donc importé d’être guidé pour pouvoir se sociabiliser en comprenant les codes « généraux ». La normalité est effectivement subjective mais la généralité est une réalité. Et il faut donc pouvoir interagir avec les bons codes.
      Je trouve donc cet argumentaire un peu léger.
      Je suis moi même concerné par la neuroathypie et le tdah donc ce n’est pas la peine de me faire la morale en retour 🙂
      Je pense qu’il n’y a pas de cas spécifique pour tous les autistes mais être accompagné à faire les bons choix me semblent indispensables.
      Il est quand même à mon sens compliqué de vivre sans cadre de référence.
      Et il est trop facile de rejeter systématiquement les études qui rentrent en contradiction avec une certaine « liberté » légitime.
      A mon sens il faut écouter et filtrer. Il y a parfois du bon et de l’intéressant dans tout.

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