Le ministère du handicap a dévoilé, avec plusieurs mois de retard, les engagements qui composent la stratégie des TND pour les quatre ans qui viennent. Après un bilan de la stratégie autisme précédente que l’on qualifiera, courtoisement, de contrasté, les associations, dont la nôtre attendaient avec impatience et une appréhension certaine la présentation des différentes idées.
Des préjugés qui empêchent toute bonne réflexion
Cette stratégie, comme la politique du gouvernement, mais également beaucoup d’initiatives associatives qui conseillent les politiques, reposent sur des principes infondés dont deux qui condamnent à l’échec toute action menée.
Tout d’abord, toute la stratégie repose sur une vision des troubles Neurodéveloppementaux fallacieuse : les personnes concernées sont vues comme des malades qu’il faut diagnostiquer et absolument soigner voire guérir. Ce postulat est dramatique car foncièrement faux, et ses conséquences sont tragiques pour les personnes concernées.
Les troubles du neurodéveloppement, catégorie dont on pourrait questionner la validité, ne sont pas des maladies : cela ne s’attrape pas, cela ne se guérit pas, et si les personnes autistes, dys, avec un TDAH ou une autre spécificité ont des fonctionnements cognitifs, intellectuels, psychologiques, neurologiques spécifiques, elles ne sont ni amoindries, ni inférieures, ni atteintes dans leur intégrité ontologique. Nous sommes simplement différents, avec nos fonctionnements propres, des besoins différents également mais avec des potentiels certains. Et les causes de ces troubles ne sont ni des virus, ni des bactéries, polluants et autres facteurs environnementaux, mais des causes principalement génétiques.
Il n’est donc nullement besoin de continuer l’engagement dans le fonctionnement d’une cohorte Marianne qui n’a pour mission que de contredire un consensus international, et la détection systématique (in utero ?) des personnes neurodivergentes. Il n’est pas non plus nécessaire de médicaliser davantage notre parcours de diagnostic avec une grille de repérage dans le carnet de santé, dont on peut questionner la confidentialité tant il passe de mains en mains et n’est plus réservé aux professionnels de santé. Il n’est pas utile de solliciter des médecins généralistes qui sont de plus en plus rares, alors que les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux, occasionnant des inégalités d’accès aux soins que cette stratégie ne pallie pas.
De plus, il ne sert à rien de diagnostiquer tout enfant qui aurait un trouble du neurodéveloppement. Si l’enfant n’est pas en difficulté, n’éprouve pas de souffrance particulière, est intégré dans son environnement, le diagnostic sera un stigmate et n’aura pour effet qu’une exclusion sociale et scolaire potentielles.
Si la Neurodiversité-France défend un accès libre au diagnostic dans des conditions sécurisantes, nous ne défendons pas le diagnostic systématique. En effet, à investir des moyens conséquents pour un diagnostic systématique, l’on n’investit pas les moyens financiers nécessaires pour garantir des soins et des accompagnements aux personnes qui en ont le plus besoin. De plus un diagnostic est une étape qui doit être faite librement, de façon consentie, et non la conséquence d’une pression sociale.
Il est totalement superflu de solliciter davantage d’acteurs dans l’investigation de signes de TND. Le manque de personnes formées et compétentes dans ce domaine est une évidence empêchant toute efficacité. La multiplication d’interlocuteurs créera une errance fatale pour les familles et une cacophonie d’avis et d’opinions mal avisées, qui n’auront pour conséquences que de nourrir des inquiétudes et angoisses infondées.
C’est le deuxième postulat extrêmement problématique sur lequel s’appuie le gouvernement : penser qu’il existe un maillage territorial efficace de personnes compétentes et correctement formées, ainsi que des effectifs suffisants.
L’erreur est grave. La France subit un retard très important sur l’acquisition de connaissances valides et utiles sur les TND. Les parcours universitaires sont lacunaires et transmettent des idées fausses (psychanalyse), alors que le secteur médical demeure dépassé avec une tradition obsolète de la psychiatrie. Il existe des exceptions mais elles sont rares et malheureusement onéreuses.
La stratégie présentée par le gouvernement ne résout pas la problématique de formation des pouvoirs publics, de l’éducation nationale, des praticiens, et ne résout pas les deux sujets centraux dont souffre notre société : l’ignorance de ce que sont ces troubles, et l’inadaptation de notre société aux spécificités de chacune et chacun.
Qu’aurait-il fallu faire ?
La Neurodiversité France souhaite insister. Les personnes neurodivergentes ne sont pas des personnes malades. Cette stratégie nous cible comme handicapées et malades, comme des personnes inférieures qu’il faudrait repérer, soigner et guérir.
Si nous pouvons avoir besoin de soins, nous avons surtout besoin d’une société qui nous comprenne.
Nous pensons que la stratégie 2023-2027 devait se mobiliser sur les points suivants :
- Une réforme de la formation des psychologues, médecins et psychiatres afin que le diagnostic soit possible et accessible facilement sans risque de manque de compétences.
- Une réforme de l’école : en finir avec ce modèle de l’école-caserne avec des professeurs en détresse, des AESH perdus et des enfants en souffrance. Changer le système scolaire dans son ensemble pour qu’il puisse accueillir chaque enfant quelles que soient les spécificités rencontrées. Une école qui dispense des savoirs sans être elle-même dans l’ignorance.
- Des moyens importants pour recruter et former au sein des MDPH, organiser une simplification administrative essentielle et renforcer la représentativité au sein des CDAPH.
- Une diffusion des bonnes informations :
– au sein des entreprises afin de favoriser l’emploi,
– vers les pouvoirs publics afin de faciliter le dialogue et l’assistance
– vers les différentes collectivités afin qu’elles deviennent réellement accessibles
– vers les associations, clubs de sport et lieux culturels afin que ces lieux puissent accueillir tout le monde. - Investir dans la prévention contre les discriminations.
- Garantir notre pleine citoyenneté.
- Lever les obstacles qui entravent notre autodétermination avec une réflexion globale sur la société telle qu’elle est.
- Garantir les libertés individuelles des personnes concernées en exécutant les recommandations de l’ONU, en finir avec les dispositifs de ségrégation.
- Un acte symbolique qui permet de changer les mentalités et faire comme le Chili qui nourrissait le projet d’inscrire la Neurodiversité dans la Constitution.
- Une égalité et un accès réel aux droits.
- Des investissements nombreux pour les personnes qui ont besoin de services spécifiques.
En conclusion, le principe n’est pas de vaincre l’autisme, guérir les personnes dys ou trouver un remède contre le TDAH. Le principe n’est pas non plus de réduire les libertés, de surveiller les personnes « pour leur bien ». Le principe est de diffuser des connaissances scientifiques avérées, de lutter contre les fausses informations pour diffuser celles qui s’appuient sur la science de qualité. Le principe est d’investir dans un progrès social réel pour atteindre l’objectif tant attendu d’en finir avec une vision médicale et pathologisante justifiant une exclusion sociale inique.
La Neurodiversité France s’oppose avec fermeté à cette stratégie, marquée par une ignorance du sujet et par des intentions peu clairement définies.