La neurodiversité France

Pourquoi nous ne souffrons pas de l’autisme ?

Une approche méréologique pour nos amis non-autistes !

Si le titre de cet article est… une provocation assumée, il s’agit aussi d’explorer, à travers la définition médicale officielle, pourquoi aucun d’entre nous n’a la sensation de souffrir directement « de l’autisme ». Nous proposons ici l’analyse de plusieurs membres autistes de l’association, sans prétendre l’étendre à l’ensemble des personnes autistes. Nous encourageons cependant des personnes autistes plus handicapées au quotidien que nous ne le sommes, et des personnes extérieures au mouvement de la neurodiversité, à partager aussi leur expérience.

Pour explorer ce sujet, nous convoquons une discipline spécifique : la méréologie, ou étude des relations entre le tout et les parties.

L'exemple de la grippe

Comme beaucoup de personnes, vous avez probablement souffert d’une grippe au moins une fois dans votre vie. Vous avez ressenti une faiblesse dans l’ensemble de votre corps, des maux de tête, de la fièvre, peut-être aussi des troubles intestinaux. Et vous avez très certainement formulé un souhait, celui de guérir de cet état désagréable le plus rapidement possible, pour revenir à votre état d’origine, qui est celui d’un être humain non-affecté par le virus de la grippe.

Il ne vous viendrait sans doute pas à l’idée de définir le virus de la grippe comme une partie intégrante de votre être, ou bien de considérer un état grippal comme faisant partie de votre état « normal ».

L’autisme ne se vit pas comme la grippe, ni comme le cancer ou bien comme le SIDA. Il n’est pas vécu comme un élément extérieur et indésirable, venu nous contaminer pour nous affaiblir et créer chez nous une souffrance, un élément extérieur que nous souhaiterions éliminer. Il est vécu comme une partie intégrante de qui nous sommes, et ce depuis notre naissance. Nous ne pouvons pas même imaginer ce que serait de ne plus être autiste, car nous ne serions plus la même personne. Cela peut paraître fort, mais c’est bien le cas !  L’intensité de nos centres d’intérêt fait partie intégrante de la description médicale de l’autisme. Ce qui nous amène à parler de cette description de l’autisme.

Description des troubles du spectre de l’autisme selon la CIM-11

Une grande difficulté pour expliquer notre vécu, c’est qu’il n’existe pas de définition universellement reconnue de « l’autisme ». Ce qui est décrit médicalement, ce sont les « troubles du spectre de l’autisme ». Pour le dire autrement, ce sont les manifestations des comportements des personnes autistes perceptibles d’un point de vue extérieur, qui sont décrites sur la base de leur déviation à une norme de comportements. Ces manifestations sont une « dyade », c’est-à-dire un ensemble composé de deux éléments, qui doivent être simultanément présents pour diagnostiquer une personne comme autiste :

  • Difficultés en matière de communication sociale
  • Comportements et intérêts restreints et répétitifs

Autrement dit, l’ensemble « troubles du spectre de l’autisme » est toujours composé de ces deux éléments, eux-mêmes définis sur la base d’une déviation par rapport à une norme sociale de comportements

La difficulté de « communication sociale » fait-elle souffrir les personnes autistes ?

On pourrait penser que la « difficulté en matière de communication sociale » fait souffrir dans 100 % des cas. Dans les faits, une « difficulté de communication » n’est pas quelque chose qui entraîne une souffrance permanente ressentie dans tout votre corps, comme lorsque le virus de la grippe vous a attrapé. C’est quelque chose qui implique deux individus ou plus, lorsqu’une tentative d’interaction, véhiculant une information, n’est pas comprise par l’autre partie. Les « difficultés de communication sociale » ne font souffrir qu’en cas de mauvaise communication effective, qui entraine une réponse inadéquate après une interaction non-comprise.

Cela fait beaucoup de mots abstraits, alors voici un exemple :

  • Imaginons un enfant autiste non-verbal qui souffre de la soif, et qui ne sait pas se verser un verre d’eau de lui-même, car les gestes à réaliser sont trop complexes
  • Cet enfant ne peut pas demander de verre d’eau par la parole (il ne parle pas), sa soif augmente
  • Pour tenter de faire comprendre sa soif, il attrape un verre d’eau vide sur une table et le jette au sol
  • Il est puni pour son geste, sa soif continue d’augmenter, il est angoissé d’avoir reçu une punition : il souffre beaucoup. 

La souffrance de cet enfant peut-elle être reliée à l’autisme ? Il est difficile de répondre catégoriquement par « oui » ou par « non ». La difficulté de communication sociale pourrait être résolue en changeant les moyens de communication mis à la disposition de cet enfant :

  • Un enfant autiste non-verbal souffre de la soif, ne peut pas demander de verre d’eau par la parole ni se servir de l’eau lui-même, et dispose d’une tablette à pictogrammes sur laquelle il peut pointer un verre d’eau
  • Sa demande est comprise par un(e) adulte qui lui amène un verre d’eau
  • L’enfant ne souffre plus de la soif
  • L’enfant est rassuré que sa demande ait été comprise
  • L’enfant n’a pas souffert de ses difficultés de communication sociale, car un moyen de communication alternatif lui a été mis à disposition.

La souffrance éventuelle est complètement situationnelle. Un même individu autiste, placé dans deux contextes de communication différents, pourra soit en souffrir, soit ne pas en souffrir.

Les comportements et intérêts « restreints et répétitifs » font-ils souffrir les personnes autistes ?

Concernant le second élément de la dyade, il ne devrait pas être nécessaire de fournir des exemples pour démontrer que les centres d’intérêt dits « restreints » ne font pas souffrir. Si vous vous intéressez, par exemple, aux trains, voir des trains de manière répétitive, pendant toute une journée, vous procure du bonheur et de la joie. C’est le fait d’être privé(e) de la vision des trains pendant une longue période, qui va générer chez vous de la souffrance.

Et pour ce qui est des comportements dits « répétitifs » ?

Michelle Dawson, chercheuse autiste, souligne que ces comportements, dont le plus connu est le « flapping » (battre des mains), entraînent des ressentis positifs du point de vue de nombreuses  personnes autistes (Dawson, M., & Fletcher-Watson, S. (2022). When autism researchers disregard harms: A commentary. Autism26(2), 564-566.), mais qu’ils sont souvent décrits et perçus comme des comportements néfastes par des observateurs extérieurs, surtout en cas de blessures auto-infligées.

Si un enfant autiste a du plaisir à battre des mains 99 % du temps, mais contrôle mal son geste et se fait mal 1 % du temps, est-il possible de conclure que son comportement répétitif le fait globalement souffrir ?

Là encore, il est impossible de conclure que les comportements dits « répétitifs » feraient souffrir la personne autiste dans 100 % des cas. La question de la souffrance est situationnelle. 

Il en est de même pour les troubles sensoriels. Si l’on souffre beaucoup de traverser Paris dans le métro à cause du bruit, peut-on dire que l’on souffre de l’autisme ?  Ou bien, est-ce que l’on souffre d’un manque d’aménagements anti-bruit, surtout dans la mesure où ce bruit excessif fait également souffrir des personnes qui ne sont pas autistes, à différents degrés ?

Aucun des deux critères de la dyade des troubles du spectre de l’autisme, dans sa description médicale officielle (CIM-11), ne peut être unanimement défini comme une source de souffrances.

De quoi souffrons-nous, alors ?

Nos vécus de souffrance ne sont pas causés directement par l’autisme, mais soit par ce que l’on appelle les « troubles associés » (épilepsie, troubles du sommeil, troubles digestifs, etc…), soit par l’exclusion. La manière dont nos comportements et modes de communication sont perçus de l’extérieur entraîne en effet notre exclusion régulière, ainsi que des descriptions très négatives de qui nous sommes.

Appelons cela de la « souffrance socio-générée ».

Nous n’allons pas aborder ici la question des troubles associés. Ces troubles sont extérieurs à l’autisme selon la description officielle fournie par la CIM-11, et chacun d’eux mériterait un développement à lui tout seul. Une grande partie des conflits autour de l’autisme serait résolue si la recherche visait la réduction ou la disparition de ce que nous vivons à 100 % comme une souffrance (par exemple, les insomnies ou l’épilepsie), plutôt que la disparition de l’entité « autisme », telle que définie par la CIM-11.

La grande majorité des souffrances que nous expérimentons proviennent donc de la façon dont nos « comportements d’autistes » sont perçus. En dresser une liste exhaustive serait très long, alors nous allons  limiter cette liste à quelques exemples qui peuvent survenir durant un parcours de vie, avec différents degrés de handicap (du très léger au très sévère) :

  • Exclusion d’une piscine publique / d’un conservatoire / d’une salle de sport après la seule mention du mot « autisme », au motif que le personnel « ne sait pas prendre en charge cette maladie »
  • Harcèlement scolaire justifié par une déviation à la norme (paraitre « bizarre », ne pas parler comme les autres élèves, etc)
  • Exclusion d’une bibliothèque universitaire après avoir tourné une dizaine de fois autour d’une étagère (la bibliothécaire a dit à la personne autiste exclue « votre comportement dérange les autres utilisateurs »)
  • Absence de réponse à une demande administrative de justification d’un internement psychiatrique sous contrainte par e-mail
  • Se faire administrer des molécules sédatives et neuroleptiques à répétition sans jamais avoir accès à des modes de communication alternatifs, souffrir de ne jamais être compris(e)
  • Entendre de la part d’un parent ou d’inconnus que nous n’aurions pas dû naître (fréquent et régulier)
  • Voir l’autisme présenté comme un fléau et une source de souffrances à la télévision ou dans la presse
  • Devoir cacher la mention d’une reconnaissance handicap (RQTH) sur son CV, et donc renoncer aux aménagements raisonnables (notamment sensoriels) pour obtenir un emploi

Tout récemment, la fille d’une des membres de notre association a vu passer une publicité pour la plate-forme Autisme Info Service à la télévision. Elle a demandé pourquoi le monsieur de la pub est dans le noir et a l’air triste, puis elle elle a ajouté « c’est pas grave d’être autiste ! ». Sa mère, qui a témoigné pour les besoins de cet article, a eu envie de pleurer. Puis, elle a expliqué à sa fille que le spectre de l’autisme est très large. La maman témoigne que « finalement, je souffre de ce que les médias peuvent dire sur notre singularité ».

Bien sûr, des personnes non-autistes peuvent souffrir de nos propres comportements, comme cela a été illustré à travers l’exemple du verre d’eau, et comme cela semble illustré par la publicité d’Autisme Info Service. Une mère non-autiste d’enfant autiste ne trouvera peut-être aucun plaisir à passer sa journée dans une exposition de maquettes de trains miniatures si ce sujet ne l’intéresse pas, alors que son enfant autiste sera comme au Paradis.

Mais ne faisons pas passer la souffrance des personnes qui ne sont pas autistes face à la manière d’être des personnes autistes, pour une souffrance des personnes autistes. Et encore moins à la télévision publique.

Merci beaucoup. 

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