La neurodiversité France

Pas d’eugénisme pour l’autisme !

« Eugénisme », voilà un mot terrible, dont on penserait, dont on voudrait être débarrassés ! Pourtant, l’idéologie eugéniste empoisonne le milieu de l’autisme depuis longtemps, constituant l’une des sources majeures du validisme. La persistance de descriptions polarisées d’individus autistes supérieurement intelligents et admirés dans les médias, ou au contraire d’individus autistes sévèrement handicapés et stérilisés de force, devrait nous alerter.

Il est temps de se défaire d’une vision qui sépare les personnes autistes entre celles dignes de vivre et de « transmettre leurs gènes » d’entrepreneurs à succès à une dizaine d’enfants pour « repeupler la planète », et celles jugées indignes, anonymes, dont les meurtres auticides sont pardonnés !

Pourquoi cet article ?

Notre association a été interpellée par un article paru récemment dans le « Quotidien du médecin », qui annonce l’existence de « plusieurs types d’autisme » :

https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/genetique/la-genetique-met-en-lumiere-quil-ny-pas-un-seul-type-dautisme

La notion de Troubles du Spectre de l’Autisme, ou TSA, protège la population autiste de dérives eugénistes dans une certaine mesure : les personnes TSA sont toujours susceptibles d’évoluer sur le spectre de l’autisme, et d’être considérées comme « plus handicapées » ou « moins handicapées » en fonction de leur environnement.

Mais ce n’est pas le cas d’une séparation de l’autisme entre plusieurs « types » plus ou moins handicapants, et moins encore dans un contexte où des sommes colossales sont investies dans la recherche de causes prénatales d’autisme.

Depuis quelques années, nous voyons ressurgir les approches catégorielles de l’autisme, qui figent l’individu comme « autiste sévère » / « autiste profond » ou bien comme « Asperger ». La notion de syndrome d’Asperger n’existe pourtant plus dans les classifications, mais elle continue d’être mobilisée médiatiquement pour décrire… des personnalités comme Elon Musk.

L’eugénisme, c’est quoi ?

L’eugénisme est souvent réduit à l’élimination de personnes jugées « inférieures » sous le régime nazi. Cet exemple dramatique n’est qu’une application extrême de l’eugénisme. Avant d’être une application, l’eugénisme est d’abord une idéologie.

Une idéologie qui catégorise des êtres humains comme étant inférieurs ou supérieurs, et donc indignes de se reproduire et de transmettre leurs gènes jugés inférieurs, ou au contraire, dignes de se reproduire et de transmettre leurs gènes jugés supérieurs.

Nous pourrions le visualiser à travers un tableau en trois colonnes :

Voici le même tableau, prenant cette fois en compte l’application de l’idéologie eugéniste :

Application de l’idéologie eugéniste aux individus jugés "indignes" Individus dont l’idéologie eugéniste ne se préoccupe pas Application de l’idéologie eugéniste aux individus jugés "supérieurs"

C’est l’application de l’idéologie eugéniste qui entraîne les pires crimes contre l’humanité : stérilisations forcées, meurtres de masse, infanticides excusés ou cachés, haras humains et autres lebensborn dans lesquels des parents sélectionnés donnaient naissance à des enfants jugés… « parfaits »…

L’existence d’une idéologie eugéniste n’implique pas forcément l’existence des dérives ci-dessus mentionnées. Par contre, elle les alimente. Or, une bipartition idéologique inspirée par l’eugénisme est aussi constatée en matière d’autisme :

Que ce soit clair : revendiquer le droit à la neurodiversité ne signifie pas revendiquer une quelconque supériorité de l’autisme ou d’autres conditions : il s’agit de revendiquer notre droit à vivre en étant autistes, TDAH, Dys, ou autre condition, sans que celle-ci ne nous assigne à une catégorie sociale supérieure ou inférieure, avec les mêmes accès potentiels à l’éducation, à la vie en société et à la formation que les autres.

À ce titre, La Neurodiversité France combat évidemment l’idéologie eugéniste, sous toutes ses formes.

L’autisme dans les années 1940

On, le sait, l’autisme a été décrit « officiellement » pour la première fois durant les années 1940 par Hans Asperger, qui travaillait sous le régime nazi, et par Leo Kanner. Il existe des preuves, dans les archives, que Hans Asperger opérait un tri entre des enfants qu’il jugeait digne d’être éduqués et d’autres qu’il jugeait indignes car trop handicapés, qualifiant au moins l’un d’eux, par écrit, de « fardeau insupportable pour sa mère ». Ces enfants étaient envoyés dans une clinique d’extermination, Am Spielgergrund (Czech, 2018).

Il a pourtant longtemps été cru que Hans Asperger « protégeait » les individus qu’il a décrits comme « psychopathes autistes » de l’extermination eugéniste. En réalité, il les triait comme sa hiérarchie le lui demandait, et s’est révélé être un « rouage efficace » de la politique appliquée à son époque (Czech, 2018 ; Sheffer 2021).

L’eugénisme est inscrit dans les origines mêmes de l’autisme, l’une de ses conséquences majeures étant la longue bipartition entre la notion d’« autisme sévère » et la notion de « syndrome d’Asperger » (Sheffer 2021).

L’eugénisme existe encore dans le milieu de l’autisme

Le traitement du meurtre auticide perpétré à Marseille, au sujet duquel notre association La Neurodiversité France s’est longuement exprimée, nous rappelle que l’idéologie eugéniste continue d’irriguer le milieu de l’autisme en France, et plus largement le monde occidental. Cet enfant de 11 ans a été jugé coupable de son autisme en raison de ses « crises », et sa mère « pardonnée » de son meurtre malgré son extrême violence, à coups de couteau de cuisine.

Et de nombreux autres exemples pourraient être cités. Alors que le syndrome d’Asperger n’existe officiellement plus depuis 2017, nous avons en France une université « Aspie-friendly », mais pas d’université « Auti-friendly », manière détournée de rappeler que les personnes autistes non-verbales et/ou à haut besoin de soutien n’auraient pas leur place dans l’enseignement supérieur.

Nous assistons aussi, depuis 2 ou 3 ans, à une multiplication d’émissions à grand spectacle visant à permettre à des adultes autistes de… vivre en couple : Love on the spectrum (3e saison sortie en 2022), Histoire d’amour et d’autisme, etc. L’association Sésame autisme a même organisé en juin 2022 un speed dating nommé… « Aspie dating » : https://www.cra-rhone-alpes.org/events/soiree-aspi-dating-avec-sesame-autisme-17-juin-2022-lyon/. Pourquoi le réserver aux « Asperger », alors que ce diagnostic n’existe plus ? Cela indique clairement à quel type de population le « privilège » de vivre en couple (et donc d’avoir des enfants) est réservé. Sans surprise, toutes les personnes autistes qui apparaissent dans ce genre d’émission et dans les « Aspie dating » sont verbales, ne font pas « trop » de « crises », sont capables d’une relative autonomie, et ne vivent pas en institution. La même émission et les mêmes speed dating avec des personnes d’apparence plus handicapées génèrerait sans doute un profond malaise sociétal. Imaginons les réactions que génèrerait la même émission avec des personnes trisomiques, par exemple ?

Les dix enfants d’Elon Musk

Alors qu’il existe des preuves indirectes de pratiques de stérilisations non-consenties à l’encontre d’adultes autistes, et plus particulièrement de femmes maintenues en établissement dit spécialisé (source : https://www.autismeurope.org/fr/blog/2017/12/05/les-femmes-devraient-d-avoir-entierement-le-controle-de-leurs-droits-lies-a-la-reproduction/), la presse occidentale se passionne pour l’entrepreneur Elon Musk, qui a déclaré lors d’une émission américaine à grand spectacle qu’il serait « Asperger » (https://www.ledauphine.com/magazine-sante/2022/11/18/asperger-haut-niveau-intellectuel-et-le-destin-exceptionnel-d-elon-musk). Musk souhaite aussi « repeupler la planète ». Mais attention, repeupler la planète, oui, à condition de transmettre ses gènes à lui, et de recourir à des mères porteuses : https://www.tf1info.fr/culture/elon-musk-pere-dix-enfants-assure-faire-de-son-mieux-pour-repeupler-la-planete-2225733.html

Personne n’a souligné la dimension hautement eugéniste de la chose. Les propos de Musk et le recours à des mères porteuses rappellent pourtant les dérives décrites dans des séries telles que La servante écarlate.

Pourquoi la société accepte qu’Elon Musk « repeuple la planète » en transmettant ses gènes de l’autisme, tout en demandant qu’un dépistage prénatal soit créé le plus vite possible pour « éviter » les meurtres auticides comme celui de Marseille ?

Toi tu vis, toi tu meurs !

Avec la question de l’eugénisme et de l’approche catégorielle de l’autisme, se pose celle de la détection in-utero. Il est évident que toute séparation de l’entité clinique TSA en plusieurs entités, associées à un pronostic différent pour chacune d’elles, entraînera une demande sociétale pour autoriser le dépistage prénatal de l’entité clinique dont le pronostic est le plus mauvais.

La Neurodiversité France n’est en aucun cas une association opposée à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et à l’interruption médicale de grossesse (IMG), qui sont des droits fondamentaux participant à l’autodétermination des femmes. Nous craignons en revanche que la création d’une entité de type « autisme sévère » ou « autisme lourd », associée à un déterminisme prénatal, ne pousse à des choix d’avortement motivés par une approche eugéniste de l’autisme, là où les mêmes gènes détectés chez un enfant d’Elon Musk ne conduiraient pas au même « choix » individuel. Nous pouvons le constater avec la trisomie : indépendamment de la question des croyances religieuses, les enfants trisomiques « détectés » et « gardés » sont ceux dont les parents disposent de bonnes conditions de vie, qui leur garantissent de pouvoir élever leur enfant à peu près correctement, non malgré la trisomie, mais malgré le validisme (source : échanges écrits avec un responsable de l’association TOUPI).

La Neurodiversité France ne se place absolument pas du côté des associations d’extrême droite religieuses dites « pro-vie », qui militent contre l’IVG et l’IMG pour des raisons de croyances, et refusent à ce titre l’autodétermination des mères, en leur imposant que toute grossesse soit menée à son terme. Nous estimons que les spécificités cognitives ou physiques d’un bébé viable ne devraient pas être des critères décisifs pour l’IMG, et que la liberté des futurs parents devrait être garantie par l’existence d’une société inclusive pour tous les profils humains.

La Neurodiversité France met à disposition ses sources et les recherches qui ont permises la rédaction de cet article à tout chercheur ou toute chercheuse souhaitant approfondir le sujet.

Amélie Tsaag Valren, pour La Neurodiversité France, janvier 2023.

Bibliographie

  • Catherine Bachelard-Jobard, L’eugénisme, la science et le droit, Presses universitaires de France, coll. « Partage du savoir », 2001, 368 p. 
  • Herwig Czech, « Hans Asperger, National Socialism, and « race hygiene » in Nazi-era Vienna», Molecular Autism,  9,‎ 2018
  • Edith Sheffer, Les enfants d’Asperger : le dossier noir des origines de l’autisme, Paris/impr. en Espagne, Flammarion coll.« Champ Histoire », 2021

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