La neurodiversité France

La recherche participative n’existe pas !

Comment est-il possible que la Cohorte Marianne, qui a été lancée en autorisant le prélèvement d’échantillons biologiques sur de très jeunes enfants avec le seul consentement de leurs parents, ait été validée par un comité d’éthique puis lancée sans aucune consultation publique préalable de personnes autistes ? Comment le risque eugéniste évident qu’impliquent ces prélèvements a-t-il pu être à ce point ignoré ?

La réponse se trouve dans l’absence d’une vraie recherche participative à la française dans le domaine de l’autisme.

Un " comité d'éthique " garanti sans autiste ?

Voilà quelques temps, Amaria Baghdadli, responsable de la Cohorte Marianne, a répondu à une interview pour Hospimedia : https://www.hospimedia.fr/actualite/interviews/20230418-pr-amaria-baghdadli-pilote-notre-objectif-est-de

Cette interview illustre remarquablement le problème. Le Dr Baghdadli annonce en effet prendre très au sérieux les questions d’éthique… mais ne cite pas même l’existence des personnes autistes parmi le « comité scientifique et éthique » de la Cohorte Marianne. Celui-ci compte, de ses mots même, des épidémiologistes, des généticiens, des cliniciens, des sociologues, et… des « familles ». Derrière le mot « famille », il s’agit de l’avis de seuls parents, le plus souvent de mères.

C’est d’autant plus surprenant que la communication officielle autour de la cohorte Marianne s’appuie sur un message d’alerte anxiogène, autour d’une « augmentation » des taux d’autisme et de troubles neuro-développementaux ! Il ne serait pas possible de trouver, parmi les 1 à 2 % de personnes autistes de la population française générale, une seule personne autiste adulte qui soit prête à participer à un « comité scientifique et éthique » ?

Le paragraphe final de l’interview, relatif à l’utilisation des données collectées, ne cite pas non plus une seule fois les personnes neurodivergentes, alors même que ces données incluent des prélèvements biologiques collectés sur des personnes autistes, TDAH, dys, etc. Une façon de dire que le monde médical et le gouvernement français peuvent prendre des décisions éthiquement contestables, telles que l’autorisation de ré-usage de ces données pour développer des modèles de dépistage prénatal, sans que nous ayons notre mot à dire.

Prétendre que la recherche participative existe suffit-il à la faire exister ?

À première vue, il serait facile de croire que la recherche participative dans l’autisme existe en France. Une simple requête permet de trouver une enquête en la matière publiée par le CHU de Montpellier (principal CHU impliqué dans la création de la Cohorte Marianne) en 2021 : https://ceand.chu-montpellier.fr/fr/informations-transversales/actualites/enquete-sur-la-recherche-participative-dans-le-champ-de-lautisme-et-des-tnd-5740 , ainsi que qu’une journée thématique organisée par le GIS (groupement d’intérêt scientifique) français de l’autisme et des troubles neuro-développementaux, la dernière en 2022 : https://www.tdah-france.fr/2eme-journee-de-la-recherche-participative-du-GIS-Autisme-et-TND-14-juin-2022.html

Le souci, c’est qu’il ne suffit pas d’organiser des conférences ni de publier des documents relatifs à cette thématique en invitant quelques parents et responsables associatifs pour que la recherche participative existe de fait. La participation de personnes directement concernées aux objectifs des recherches est, en réalité, pratiquement inexistante. Dans le cas des implications d’associations dites « de parents » ou « de famille », ce sont très souvent des mères qui s’expriment à leur place. Il est aussi très fréquent que la parole des personnes concernées soit diffusée via une simple vidéo, puis commentée par les chercheurs sous un angle pathologisant, sans que la personne enregistrée en vidéo ne puisse se défendre contre ce type d’interprétation.

Le temps de parole des personnes autistes dans les évènements prétendument « participatifs » est extrêmement minoritaire, soit entre 0 et 20 % du temps de parole total, pour les quelques comptes-rendus et programmes que nous avons pu analyser.

La recherche participative, c’est quoi ?

La recherche participative consiste à « intégrer les points de vue de la communauté de l’autisme sur les recherches effectuées, la façon dont elles sont effectuées et la façon dont elles sont mises en œuvre » : https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/100921/recherche-participative-sur-lautisme-comment-la-consultation-profite-tous

L’existence de la recherche participative ne saurait donc se résumer à l’invitation de responsables associatifs et de quelques participants diagnostiqués comme autistes à des colloques et pour des approbations de projets de recherche déjà définis, et sur la base de leur adhésion à celui-ci.

C’est, hélas, ce qui se passe aujourd’hui en France !

Il n’existe aucune prise en compte des souhaits globaux des personnes autistes, malgré l’existence de nombreux articles de recherche, publiés dans des revues à comité de lecture, qui résument leurs prises de positions. Ainsi, l’opposition à la « guérison » de l’autisme et à toute finalité eugéniste est un point très largement partagé, voire unanimement partagé par les personnes autistes qui s’expriment elles-mêmes à travers des associations, des sites web et des ouvrages.

Quels sont les obstacles à une recherche participative réelle ?

Il arrive que certains parents, parfois en toute bonne foi et parfois par haine de l’entité « autisme », estiment que la disparition de l’autisme serait souhaitable. Ce point de vue est opposé à celui de la majorité des personnes autistes.

Dans le monde de la recherche, la quête d’un statut social et de responsabilités supérieures peut pousser à croire que le point de vue selon lequel la recherche d’un remède à l’autisme serait un « espoir » et une « bénédiction » est unanimement partagé. Tel n’est pas le cas.

Il est alors plus simple pour un chercheur ou une chercheure souhaitant se propulser comme prochain découvreur d’un remède à l’autisme de silencier ses opposants, ou bien de piocher quelques rares individus en accord avec ce point de vue / mal informés de la finalité réelle du projet de recherche. Une recherche participative véritable devrait pourtant intégrer les points de vue des personnes autistes dès les premières étapes, dès la constitution des objectifs de la recherche.

Eléments de langage et mensonges de la « stratégie nationale pour l’autisme »

Les éléments de langage diffusés par Claire Compagnon et son équipe de la « stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement » font croire que des sommes colossales sont investies pour « améliorer la qualité de vie » des personnes autistes. En plus de ceux utilisés sur le site web officiel de la Cohorte Marianne, faisant croire aux parents que leurs enfants seront aidés à « atteindre leur plein potentiel », nous pouvons citer les éléments de langage de ses communiqués de presse extatiques au sujet de la recherche en autisme à la française. Par exemple, celui de juin 2021 promet « un budget de plus de 450 millions d’euros dédié à l’amélioration de la qualité de vie des personnes et de leur entourage ».

Nous autres, personnes concernées, ne constatons aucune amélioration de notre qualité de vie, malgré l’utilisation d’une grande partie de ce budget. Bien à l’inverse, nous observons un durcissement de la normalisation des comportements dans les environnements scolaires et professionnels, qui génère une exclusion de plus en plus forte. Les projets financés par la délégation interministérielle sont en totale déconnexion avec nos besoins réels. En quoi une « maison de l’autisme » située près de Paris améliorera notre qualité de vie ? En quoi rechercher des polluants chez de jeunes enfants en prélevant leurs cheveux et leurs urines améliorera notre qualité de vie ? En quoi la plate-forme d’appel « Autisme Info Services » améliore t’elle notre qualité de vie, dans la mesure où les personnes qui y répondent ne peuvent que constater les exclusions que nous subissons, sans y apporter de solution ?

Les exemples de gaspillage d’argent public pourraient être égrenés encore bien longtemps. 

Nous avons besoin de recherche participative pour réduire notre exclusion sociétale, pas pour nous éliminer avant la naissance

Pour constater à quels défis nous faisons face quotidiennement, peut-être faudrait-il que les services de madame Compagnon quittent leur tour d’ivoire parisienne pour se confronter à la réalité du terrain : multiples documents administratifs à remplir pour ne pas étouffer financièrement, exclusion des élèves autistes au moindre « problème » et à la moindre absence d’une AESH, auticides (meurtres de personnes autistes par leurs propres parents ou leur entourage), rejets à l’emploi incessants (l’une de nos membres a dû effacer la mention d’une reconnaissance handicap de son CV pour trouver un poste !), violence verbale ou physique subie parfois quotidiennement, centaines d’entretiens d’embauche au terme desquels nous recevons un refus… jusqu’à, pour la moitié d’entre nous, tomber en dépression (cf :  Matthew J. Hollocks, Jian Wei Lerh, Iliana Magiati et Richard Meiser-Stedman, « Anxiety and depression in adults with autism spectrum disorder: a systematic review and meta-analysis », Psychological Medicine, vol. 49, no 4,‎ mars 2019, p. 559–572, lire en ligne). Les suicides de personnes autistes sont cinq fois plus élevés qu’en population générale, et le plus souvent motivés par le fait que nous sommes présentés comme des fardeaux ! (cf : Victoria Newell, Lucy Phillips, Chris Jones et Ellen Townsend, « A systematic review and meta-analysis of suicidality in autistic and possibly autistic people without co-occurring intellectual disability », Molecular Autism, vol. 14, no 1,‎ 15 mars 2023, lire en ligne)

Un constat absolument saisissant est de voir à quel point Claire Compagnon, ignorant le point de vue de la majorité des adultes autistes, présente l’autisme comme une maladie à combattre et à guérir, contribuant par ses paroles et ses actions au durcissement des rejets que nous vivons.

Le message officiel envoyé par l’organisme qu’elle dirige normalise les rejets multiples que nous vivons, en inscrivant leur cause dans une déficience qui nous serait intrinsèque, et en présentant un hypothétique « remède » à notre état comme la solution qui permettrait notre inclusion.

Ce choix politique est contraire aux recommandations internationales. La France vient une nouvelle fois d’être condamnée par le conseil de l’Europe pour non-respect de nos droits humains fondamentaux : https://www.lagazettedescommunes.com/863614/handicap-la-france-condamnee-par-le-conseil-de-leurope-pour-les-lacunes-de-sa-politique/

2 réflexions sur “La recherche participative n’existe pas !”

  1. Camonin Germani

    L’autisme est souvent présenté comme global or les autistes sont tous légèrement mais de façon caractéristique différents. C’est en analysant leurs approches et explications individuelles que l’on peut mieux cerner leurs besoins.
    Ça demande une autre démarche et une autre approche méthodologique des données empiriques.
    DCG

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