Les 7 et 8 octobre, le Magazine le Point a organisé durant son Futurapolis Santé 2022 une rencontre consacrée aux « causes de l’autisme ». Étaient présentes la chercheuse Amaria Baghdali, la responsable de la « stratégie autisme » Claire Compagnon, une mère de deux enfants autistes et une journaliste du Point. L’absence d’une personne autiste a permis un discours hautement problématique. Nous, membres de La Neurodiversité France, souhaitons en rappeler les effets et conséquences, dans un contexte où l’ONU a rappelé que les politiques publiques devraient être conçues pour les personnes concernées, et avec leur pleine participation.
Assimiler l'autisme au "mal" : un discours d'extrémistes religieux
L’autisme est assimilé au « mal » dans la présentation vidéo officielle de cette conférence, ainsi que dans l’article de presse qui y est consacré.
En 2003, Michelle Dawson a rédigé un article intitulé « Bettelheim’s worst crime » (le pire crime de Bettelheim), expliquant de quelle manière l’ancienne culpabilisation des parents d’enfants autistes a mené à une culpabilisation des autistes eux-mêmes. Les pouvoirs publics doivent trouver des responsables pour justifier les nombreuses difficultés rencontrées. Ces « responsables » ne peuvent pas être ceux en charge des politiques publiques, ici engagés dans une autopromotion perpétuelle de leurs actions (ou plutôt, leurs inactions). Ces responsables ne peuvent plus être les psychanalystes, effectivement responsables d’un important retard de la France dans l’approche de l’autisme, mais qui ont été écartés des décisions publiques depuis une bonne dizaine d’années. Ces responsables ne peuvent pas être les parents, longtemps culpabilisés par les professionnels formés à la psychanalyse, et souvent déjà à bout. Le seul responsable de la souffrance est tout trouvé, c’est… l’autisme. L’autisme est donc associé au « mal », un terme qui désigne la souffrance physique en médecine, mais aussi et surtout « ce qui est contraire au bon et à la vertu » dans la plupart des religions. L’élimination du « mal » ne peut être questionnée : seules les modalités de cette élimination peuvent l’être. Durant l’entièreté de l’intervention, jamais le bien-fondé d’une recherche des « causes de l’autisme » n’est questionné, alors même que Claire Compagnon, dans sa position de responsable des politiques publiques, ne peut ignorer qu’une partie importante des personnes autistes majeures s’opposent à la recherche sur les « causes » en raison du risque d’élimination prénatale eugéniste.
L’assimilation de l’autisme au mal s’accompagne d’une mobilisation du champ sémantique de la souffrance. Durant l’entièreté de la conférence, l’entité « autisme » est dépeinte comme étant la cause de toutes les souffrances. Amaria Baghdali parle de « facteurs de risques » et de « maladie chronique » à propos de « ce problème de santé qu’est l’autisme », et en recherche « les causes » dans… la pollution environnementale, ce alors que les précédentes recherches à ce sujet n’ont, non seulement, rien donné de concluant, mais en plus, ont conduit des parents irresponsables à administrer des produits dangereux à leurs enfants autistes (agents chélateurs et cocktails d’antibiotiques), au prétexte de les « guérir ».
Rendre les enfants autistes responsables de la souffrance de leurs parents
Claire Compagnon réalise une câlinothérapie pour les parents, en répétant combien il est difficile d’élever un enfant autiste. Affirmer cela tout en louant l’action de l’Etat, sans autocritique du manque d’inclusion scolaire et des lourdeurs administratives, sans mentionner les situations de rejet et d’exclusion vécues par les enfants autistes, revient à reprocher aux enfants autistes d’être responsables de la souffrance parentale et de leurs propres expériences de rejet… parce qu’ils sont autistes. Ce point est bien documenté par les études scientifiques consacrées aux causes de suicide des personnes autistes : ces causes sont à rechercher dans l’expérience répétée de l’exclusion et du rejet, dans le sentiment d’être « des fardeaux et des charges pour leurs parents », et non dans l’existence de l’autisme lui-même (cf : Mirabel K. Pelton, Hayley Crawford, Ashley E. Robertson et Jacqui Rodgers, « Understanding Suicide Risk in Autistic Adults: Comparing the Interpersonal Theory of Suicide in Autistic and Non-autistic Samples », Journal of Autism and Developmental Disorders, vol. 50, no 10, 1er octobre 2020, p. 3620–3637 (lire en ligne) ; Mikle South, Andreia P. Costa et Carly McMorris, « Death by Suicide Among People With Autism: Beyond Zebrafish », JAMA Network Open, vol. 4, no 1, 12 janvier 2021, e2034018–e2034018 (ISSN 2574-3805, DOI 10.1001/jamanetworkopen.2020.34018, lire en ligne).
Claire Compagnon répète à juste titre qu’il n’existe pas de « médicaments pour l’autisme » ; cette évolution de discours survient après la révélation publique du scandale des médications abusives et des chélations, mais l’existence même des maltraitances médicamenteuses infligées par des parents à leurs enfants autistes est tue, ce alors que la responsabilité des annonces publiques prétendant avoir trouvé « les causes » de l’autisme a été clairement établie, de même que la responsabilité d’individus impliqués dans la création des politiques publiques en France. De plus, ce discours soutient que les personnes autistes auraient pour devoir, quasiment pour « mission sainte », d’éliminer leur autisme.
L'injonction à la normalisation
Le reste des interventions de Claire Compagnon et Amaria Baghdali est orienté autour du devoir de normalisation des enfants : en l’absence de médicament pour « guérir l’autisme », injonction est faite aux enfants autistes d’apprendre à camoufler tout ce qui pourrait évoquer leur autisme, et à ressembler le plus possible à des personnes neurotypiques . Claire Compagnon assure à ce titre que les UEMA (Unité d’enseignement maternelle autisme, pour les enfants de 3 à 6 ans) s’occupaient d’enfants non-verbaux pour leur apprendre à parler, alors que ce n’est pas ce que les parents d’enfants autistes constatent sur le terrain. Dans la réalité, ces UEMA font bien souvent « leur marché » en refusant l’inscription des enfants dont le handicap est jugé trop important, et en acceptant des enfants diagnostiqués et déjà relativement autonomes, notamment par l’usage du langage oral. Ce focus sur le langage oral témoigne d’une incompréhension des besoins réels d’autonomisation, l’apprentissage de la continence entre 3 et 6 ans étant plus important pour les enfants autistes que celui du langage oral, dans la mesure où une partie d’entre eux ne s’exprimeront de toute façon jamais par ce canal, quelles que soient les interventions menées. Est-ce à ces enfants de tenter d’apprendre le langage oral, où à leur entourage d’apprendre à communiquer avec eux sur un mode non-verbal (pictogrammes, etc ?)
Enfin, Baghdali évoque la possibilité de « prévenir l’autisme » en découvrant des « facteurs de protection » dès la grossesse. Bien que le terme « dépistage prénatal » ne soit pas évoqué, il devient évident que la cohorte MARIANNE a pour objectif de contribuer au développement d’un tel dépistage. Un nombre important de personnes autistes s’opposent à ce type de recherche en raison du risque important d’élimination eugéniste, comme cela a été rappelé par l’ONU en 2019.
Haïr l'autisme : un biais acceptable ?
Si Futurapolis Santé 2022 a mis un point en lumière, c’est bien le partage d’une haine commune de l’autisme entre les responsables des politiques publiques, les chercheurs, et les parents invités. Comme l’ont démontré d’importants travaux en sociologie, comme ceux d’Anne McGuire (Anne McGuire, War on Autism: On the Cultural Logic of Normative Violence, University of Michigan Press, coll. « Corporealities: Discourses Of Disability », 2016, 274 p.), la haine de l’autisme ne peut être dissociée de la haine des personnes autistes elles-mêmes, car elle conduit à l’acceptation du rejet des autistes, et au retard / refus des politiques d’inclusion, qui devraient pourtant être conduites par les pouvoirs publics. Cette haine de l’autisme conduit aussi aux abus médicamenteux, aux infanticides, et aux tentatives de suicide des personnes concernées.
Il ne s’agit pas ici de dire que les politiques publiques devraient être conduites dans l’amour de l’autisme, mais d’interroger les nombreux biais et la souffrance créée, non par l’autisme, mais par le vœu de faire disparaître l’autisme.