Une réponse à Florence Girot…
Dans un article paru récemment dans Le café pédagogique, une enseignante expliquait s’inquiéter d’une inclusion réalisée au détriment des enseignants (surtout des enseignants) et des élèves différents contraints de se comparer à une « normalité inaccessible ». Sans mentionner une seule fois les droits et le vécu de l’individu concerné, cet article exprime l’antagonisme entre une culture scolaire du tri et de la productivité et le projet d’une école humaniste.
Révoltant. Tout d’abord, parce que cet article véhicule la tradition scolaire de hiérarchisation des intelligences. L’inclusion consisterait donc à « obliger l’enfant différent à se comparer sans cesse à une normalité inaccessible ». Mais l’enfant souffre-t-il de ne pas être normal, ou souffre-t-il de la violence ségrégative de notre société ? Souffre-t-il d’être autiste par exemple, ou souffre-t-il d’être déconsidéré ? Qui dicte à nos enfants le profil de l’élève normal, idéal ? L’école, car une grande partie de son travail consiste en une entreprise d’auto-validation : juger la valeur des individus selon des critères purement arbitraires, les critères scolaires.
C’est l’école elle-même, dans ses pratiques, dans sa culture, qui traque l’a-normal dès le plus jeune âge : si cet enfant au « comportement atypique » est regardé comme un ovni par ses camarades, c’est parce que, dès les premières années de maternelle, les enfants apprennent à reconnaitre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, ce qui est souhaitable, et ce qui ne l’est pas. Rien d’étonnant alors que les carences éthiques de l’école se manifestent dans les cours d’école.
Il serait temps de réaliser que la tolérance ne s’éduque pas à travers des livres !
La tolérance s’éduque par la proximité, par la friction. Tant que je n’ai pas été confronté à l’autre, tant que je ne l’ai pas rencontré, je ne peux le comprendre, je ne peux même me soucier de lui. Il suffit de comparer l’attitude des enfants dans une école qui met tout en œuvre pour accueillir la diversité et une école fermée sur ses objectifs et sa normalité pour en être convaincu.
Intéressons-nous, car cette donnée fait défaut à l’article auquel nous répondons, au vécu des enfants, avec quelques remarques glanées çà et là : « J’en ai marre qu’on me prenne pour un abruti », « Moi, je vais à l’école pour ceux qui ne sont pas comme les autres » ou encore « Je déteste cette société qui ne veut pas de moi », « ma souffrance vient du fait d’être vu comme un être à éradiquer ». Oui, ceux qui se mettent en danger, ceux qui sont trop souffrants pour être à l’école, existent. Mais combien par rapport à ceux qui subissent chaque jour le rejet d’une société qui leur demande en retour le respect ? Et si certains se sentent mieux dans une structure « adaptée », ne se sentiraient-ils pas tout aussi bien si l’école l’était, « adaptée » ?
Selon l’article en question, les handicaps les plus problématiques sont ceux qui « portent atteinte aux fonctions cognitives ou au psychisme », « entravant plus ou moins les capacités d’apprentissage et générant des difficultés de comportement ».
Comment les enseignants peuvent-ils ignorer, aujourd’hui encore, que les capacités, l’échec et le handicap sont aussi la résultante d’un contexte, d’interactions avec un environnement, et sont aussi les produits de l’école ? Comment peuvent-ils ignorer que tous les enfants sont éducables, mais que les normes scolaires aggravent, voire créent des handicaps ?
Comme cela a justement été dit, de plus en plus de diagnostics sont réalisés. De plus en plus de dispositifs à la marge sont proposés. De plus en plus d’enseignants se permettent d’exiger un traitement avant d’accueillir un enfant en classe. Combien de dignité allons-nous encore abîmer ? À combien d’enfants allons-nous encore expliquer qu’eux, ne font pas partie des « normaux » ? À combien d’enfants, de jeunes, allons-nous interdire de grandir et de « faire société » auprès de leurs pairs ? Vous vous offusquez de la scolarisation de profils a-normaux, je m’inquiète que l’institution résiste en stigmatisant et en envoyant en ULIS par exemple, de plus en d’enfants autrefois considérés comme « normaux ». Je m’insurge que certains élèves soient scolarisés deux heures par semaine. L’institution est malade, non pas de l’inclusion, loin s’en faut, mais de la normalité et du fatalisme.
Puisque l’on interroge, dans cet article, les finalités politiques et économiques qui sous-tendent l’inclusion, il parait pertinent d’interroger alors le type de politique à laquelle répond notre système actuel : une logique de rendement, d’efficacité, de bio-pouvoir. La culture scolaire est profondément marquée par cette course au rendement et peine à modifier ses pratiques de tri, de sélection, de dressage, pour revenir au rôle essentiel de l’école, celui qui s’avère le plus digne et le plus souhaitable aujourd’hui : l’épanouissement, l’émancipation, la coexistence des adultes de demain.
Concernant les moyens, il est évident que l’État n’en accorde jamais assez à l’éducation. Cependant, le budget italien consacré à l’éducation est nettement inférieur à celui de la France (entre 4 et 5 % du PIB contre 6 à 7 %), et le système italien, s’il n’est pas parfait, nous laisse entrevoir notre marge de progression en termes d’encadrement, de bienveillance, et d’inclusion. Il est évident alors qu’outre les budgets, les priorités restent à revoir (pourquoi ne pas envoyer les inspecteurs de l’Éducation Nationale en classe, par exemple) …
La place de tous est à l’école, ne nous attaquons pas à l’inclusion, mais bien au fonctionnement du système scolaire qui est le théâtre de valeurs contradictoires. Il n’y a pas de différence essentielle entre les normaux et les anormaux, les handicapés, et les valides, ces différences sont creusées par la rigidité de l’école. Il est temps de la désacraliser, et de la soumettre à des valeurs humanistes. Travailler avec de l’humain, c’est précisément sortir des grilles et travailler avec l’imprévisible.
Enfin, gardons à l’esprit que le terme d’inclusion ne devrait pas exister. Comme l’a très justement rappelé Charles Gardou, l’expression « société inclusive » est un pléonasme. De la même manière, l’expression « école inclusive » est un pléonasme. Encore faudrait-il, pour le concevoir, que les réflexions autour de l’éducation ne soient plus confisquées par des fonctionnaires formatés et validistes, mais mobilisent une pluralité d’acteurs, et en premier lieu, les concernés.
La Neurodiversité France avec Juliette Speranza
Merci et bravo Juliette pour cet article!
Je plussoie! Et je partage bien sûr.