La médiatisation tonitruante d’une étude affirmant la possibilité de diagnostiquer l’autisme chez des nourrissons à l’aide d’une détection de métaux lourds dans un cheveu nous rappelle… qu’il est urgent d’attendre !
À en croire les nombreux articles de presse publiés au sujet de la recherche dans l’autisme ces dix dernières années, les autistes seraient des individus pollués. Contaminés aux pesticides, empoisonnés aux métaux lourds ou encore décérébrés par le numérique, leur salut résiderait dans une décontamination, destinée à les ramener vers la normalité et la sociabilité salvatrices.
Une nouvelle vague d’opinions assimile désormais les personnes autistes à des victimes de contaminations prénatales. Parmi les articles de presse publiés, certains sont heureusement plus « prudents » que d’autres :
- https://informations.handicap.fr/a-autisme-nourrisson-detecte-a-partir-cheveu-34237.php
- https://www.santemagazine.fr/actualites/actualites-sante/bientot-un-depistage-de-lautisme-grace-a-un-prelevement-capillaire-963601
- https://www.topsante.com/medecine/sante-mentale/autisme/troubles-du-spectre-autistique-tsa-les-detecter-a-l-aide-d-un-simple-cheveu-654429
La cause de cet emballement médiatique ? Une étude princeps menée par une start-up américaine, publiée dans le Journal of clinical medecine début décembre 2022. Cette étude est solide, car elle est internationale et multi-centrique, c’est-à-dire que la même analyse, avec les mêmes paramètres, a été menée dans trois pays différents, ici le Japon, les Etats-Unis et la Suède.
Il est cependant bon de titrer les articles de presse avec un « ? », car il s’agit… d’une première étude !
La validation d’une hypothèse, ça fonctionne comment ?
Une étude qui n’a pas encore été répliquée par d’autres équipes de recherche permet d’établir une hypothèse. Si cette hypothèse est confirmée plusieurs fois par plusieurs autres équipes, et seulement si elle est confirmée dans les mêmes conditions d’expérience, alors, elle devient une « théorie », qui pourra éventuellement déboucher sur des applications.
Il est important que la presse internationale n’annonce pas à ce stade que les causes de l’autisme résideraient dans une contamination aux métaux lourds, car l’étude publiée par le Journal of clinical medecine ne conclut pas cela d’une part, et d’autre part, une telle croyance peut entrainer des conséquences dramatiques pour les enfants autistes, depuis longtemps exposés à des pseudo-thérapies invasives comme la chélation et l’antibiothérapie, sans leur consentement.
Cette étude ne valide pas la chélation ni l’antibiothérapie !
En l’état actuel des connaissances, les causes de l’autisme sont majoritairement génétiques et héréditaires. Franck Ramus a publié un excellent rappel à ce sujet (en 2017) : https://theconversation.com/dans-lautisme-le-role-de-lheredite-est-preponderant-78384. Pourtant, un nombre important de parents et de chercheurs continuent de croire en l’hypothèse non-démontrée d’un rôle majeur d’une contamination prénatale par des métaux lourds dans la « survenance » de l’autisme. C’est même l’un des postulats de départ de la honteuse étude cohorte « Marianne », lancée en grandes pompes en avril 2022, et au sujet de laquelle Claire Compagnon prétend qu’elle permettra à terme de développer des « thérapeutiques » de l’autisme en évitant ces contaminations prénatales.
Comme l’a brillamment démontré Anne Mc Guire dans son livre War on Autism (tiré de sa thèse), un tel postulat de départ découle d’une profonde haine de l’autisme et d’une volonté de le faire disparaître. Une volonté qui ne s’accorde pas avec les souhaits et le ressenti des personnes directement concernées, qui pour leur majorité ne vivent pas l’autisme comme le résultat d’une contamination extérieure, qu’il serait souhaitable d’éliminer pour « redevenir normaux », comme si elles souffraient d’un cancer ou bien du sida.
L’autisme fait partie de qui nous sommes. En 1993, lors de son discours fondateur pour le mouvement de la neurodiversité, Jim Sinclair rappelait déjà que l’autisme n’est pas quelque chose qu’une personne « a », ni une coquille derrière laquelle un individu « normal » se trouverait enfermé. « L’autisme est une manière d’être. […] Il n’est pas possible de séparer la personne de l’autisme », avait-t-il conclu (Jim Sinclaiur, Don’t Mourn for Us, 1993 : https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-981-13-8437-0_2).
Si les membres de La Neurodiversité France soutiennent les avancées de la recherche, nous estimons aussi qu’assimiler les enfants autistes à des individus « pollués » par des pesticides, des métaux lourds ou encore par l’exposition aux outils numériques, est aussi déshumanisant que nuisible pour leur estime d’eux-mêmes. Ce, en plus de constituer une impasse en matière de recherche et un gâchis d’argent public, car il n’est pas possible de séparer l’autisme de la personne, ni de « guérir » l’autisme.
Combattre les pseudo-thérapies et soutenir une société véritablement inclusive
Mais au fait, pourquoi tant de gens ont-ils besoin de croire que l’autisme proviendrait de causes environnementales extérieures ? Trente ans après Sinclair, pourquoi tant de monde continue de nourrir cette haine de l’autisme, et d’œuvrer à sa disparition ? Pourquoi certains professionnels de santé et parents sont même prêts à infliger une chélation de métaux lourds, un régime alimentaire ultra-restrictif ou encore un « sevrage » du numérique à leurs enfants autistes ?
Une partie de la réponse réside, hélas, dans l’absence d’inclusion réelle des personnes concernées, portant à croire qu’un enfant non-autiste sera forcément plus heureux qu’un enfant autiste. Tout parent digne souhaite le meilleur pour son enfant. Dans la configuration actuelle, combattre l’autisme apparaît plus « simple » que d’obtenir l’acceptation sociétale des individus autistes.
Le combat véritable n’est pas à mener contre l’autisme, mais contre le validisme d’une société excluante, qui broie les personnes différentes.