La neurodiversité France

Photo d'un écran publicitaire lumineux dans la rue

Écrans et enfants : l’impensé des espaces publics

Le 16 janvier, les membres de la commission Écrans pour les jeunes ont été nommés afin de rendre des travaux susceptibles d’aboutir sur des restrictions ou des interdictions de vente de tablettes aux jeunes enfants. Alors que les craintes autour de l’effet des tablettes et des téléphones portables sur les mineurs saturent l’espace médiatique, la question des écrans publicitaires lumineux imposés dans des espaces publics (particulièrement en ce qui concerne les personnes neuro-atypiques) reste majoritairement impensée.

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Au moment de la nomination de cette commission Écrans, Emmanuel Macron en a décrit la mission : « déterminer le bon usage des écrans pour nos enfants dans les familles, à la maison comme en classe, parce qu’il en va de l’avenir de nos sociétés et de nos démocraties à l’école ». Pour cela, « il y aura peut-être des interdictions, il y aura peut-être des restrictions » et « peut-être aussi des restrictions sur les contenus ».
Cette annonce fait peser la seule responsabilité des effets des « écrans » sur les familles, les équipes éducatives ou pédiatriques, et les créateurs de contenus numériques. Pourtant, des « écrans » nous sont imposés au quotidien, sans que nous puissions nous soustraire à leur présence.

Les écrans publicitaires lumineux à LED

Questionner la présence des écrans publicitaires sur nos espaces publics

Dans les discours médiatiques actuels, à aucun moment l’existence de ces écrans publicitaires lumineux (et souvent mouvants) n’est questionnée, ni même mentionnée. Seules quelques associations, telles que le RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire : https://antipub.org/ ) et Paysages de France (avec sa pétition « zéro watt pour la pub » : https://www.paysagesdefrance.org/actualites/317/petition-zero-watt-pour-la-pub-/) sensibilisent régulièrement à leur effet néfaste, à la fois sur les personnes, sur les coûts en énergie et sur la biodiversité.

L’effet accidentogène d’écrans publicitaires lumineux mouvants sur les conducteurs d’automobiles est démontré par la recherche scientifique (cf Belyusar et al. 2016 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0001457515301664 ).

La recension des études sur les personnes TDAH menée par Engelhard et Kollins conclue qu’interroger un effet des « écrans » en plaçant dans ce grand fourre-tout à la fois des téléphones mobiles, des tablettes tactiles, des télévisions et des écrans publicitaires mouvants de plus ou moins grande taille, n’est pas pertinent (cf Engelhard 2019 : https://link.springer.com/article/10.1007/s11920-019-1077-1).

Leur effet sur les personnes autistes reste à documenter. La moindre requête sur des bases de publications scientifiques en utilisant les mots « autisme » + « écrans » nous donne en réponse cette sempiternelle question validiste : « est-ce que les écrans rendent autiste ? ».

Nous attendons avec impatience des publications scientifiques portant spécifiquement sur l’effet des écrans publicitaires à LED placés sur des espaces publics ! En attendant, en tant que personnes neurodivergentes, nous constatons des effets néfastes au quotidien.

Témoignage de shutdown

Le dernier shutdown de notre adhérente Stéphanie (le prénom a été modifié) remonte à une double traversée obligatoire de la Gare du Nord, à Paris, en novembre 2023. Durant l’aller, elle témoigne avoir cherché pendant une dizaine de minutes un panneau indicateur vers la ligne de métro 5, qu’elle n’a pas l’habitude d’emprunter. L’omniprésence des panneaux et messages publicitaires l’empêchait de trouver parmi de multiples sources d’information celle dont elle avait besoin. Mention spéciale à une pharmacie fermée pour travaux, dont la façade arborait un écran lumineux à LED d’une taille d’au moins trois mètres de large pour deux de haut !

Elle s’est effondrée peu avant de quitter une réunion, puis dans le métro et à la gare, sur le chemin du retour. Seule l’aide désintéressée de plusieurs personnes, qui ont eu la gentillesse de la conduire jusqu’à l’entrée du quai de son train, lui ont permis de rentrer à domicile sans encombre. 

Cette situation, nombre d’enfants et d’adultes autistes et TDAH la vivent probablement au quotidien. Les supports de messages publicitaires, omniprésents, rendent l’espace public invivable pour les neurodivergents. Il est urgent de mener des études scientifiques sur les effets de ces écrans publicitaires, et de reprendre le contrôle sur nos espaces publics.

Ne pas questionner la publicité : pourquoi ?

Les écrans lumineux publicitaires semblent une anecdote lorsque l’on analyse la place des écrans dans notre quotidien. En effet, les pourvoyeurs de buzz que sont les Tisseron et autres Desmurget ont fait du smartphone et de la télévision l’alpha et l’oméga de la réflexion sur les écrans. Pourtant, ces derniers ne sont pas les révélateurs de l’hypocrisie de notre société sur les écrans. La place des écrans, l’analyse qui est au cœur de la politique du gouvernement, repose sur un déterminisme de l’utilité des écrans et de leur nocivité. Mais dans ce cadre, l’utilité n’est pas celle profitable aux enfants, elle est celle profitable à la société du point de vue de ce même gouvernement. De fait, la place omniprésente des publicités dans la majorité des contenus, publicités qui reposent sur des mécanismes réunis pour attirer l’attention et susciter l’adhésion des publics les plus jeunes, n’est jamais questionnée. Pas plus que n’est questionnée la digitalisation progressive des contenus pédagogiques, encyclopédiques ou culturels au détriment des livres et autres objets de référence. Il existe par conséquent un prérequis politique et idéologique : les mauvais écrans sont ceux qui ne participent pas au développement économique. Les bons écrans sont ceux qui y participent et si la télévision et le smartphone sont décriés, c’est uniquement pour les contenus tolérés par les parents, responsabilisés et culpabilisés sur l’accès dédié aux enfants. Le président Macron ne s’est d’ailleurs pas embarrassé de précisions, ayant mélangé lors de sa conférence les contenus, les supports et les outils, en oubliant que c’est précisément la qualité des contenus qui détermine l’utilité d’un support, et la diversité des supports qui détermine la qualité de l’outil et son utilité.

Aussi, avec si peu d’esprit critique, on peut bien critiquer les écrans et imposer dès 2017 une numérisation complète des services publics. On peut bien critiquer l’omniprésence des écrans, et amplifier la fracture numérique. On peut déplorer que nos jeunes soient dépendants des écrans, et créer les conditions de dépendance de l’école vis à vis d’écrans et de services en ligne. Sans esprit critique, on peut critiquer beaucoup de choses. Mais avec une certaine rigueur, il est possible de nuancer et d’indiquer que les écrans peuvent être bénéfiques pour peu que l’on choisisse sans idéologie lesquels supprimer et lesquels préserver.

Que proposons-nous ?

Il devient alors évident que supprimer les écrans publicitaires à LED de l’espace public est une question écologique primordiale, de santé publique (moins de publicité pour des produits nocifs), permettant de réduire la pollution visuelle dans l’espace public.

Il devient alors évident que ce qui pose problème avec la télévision n’est pas les écrans mais les contenus, et qu’il appartient à l’Etat d’avoir une politique culturelle exigeante.

Il devient alors évident que la télévision est une solution pour des millions de citoyens qui n’ont pas accès à des offres culturelles autres, pour de nombreuses raisons (espace dans le logement, coût des objets culturels, question du temps familial, etc.)

Il devient alors évident qu’on ne peut enjoindre les familles à se passer d’écrans tout en obligeant ces mêmes familles à recourir à des services en ligne pour la totalité de leurs démarches.

Il devient évident qu’affirmer que les ordinateurs seraient un problème paraît absurde quand des ordinateurs sont donnés à tous les collégiens dans de nombreux départements.

Il devient évident qu’affirmer le danger des écrans devant des millions de Français en passant soi-même sur des chaînes de télévision est incongru, comme il est également étrange de cibler les contenus sur Internet quand on passe “en même temps” sur Youtube pour parler à des influenceurs populaires chez les jeunes.

Les évidences deviennent scandaleuses quand on remarque l’omniprésence d’écrans inutiles pour les jeunes, et qu’il y a pénurie de tablettes et d’ordinateurs pour les personnes dys.
De même pour beaucoup de personnes autistes et TDAH, Internet a permis d’accéder à des milliers d’informations de façon directe sans nécessité d’un contexte social qui pouvait être un obstacle décisif.

Ramenons de l’esprit critique dans le débat public

Si les écrans sont à utiliser avec parcimonie (comme les 49.3), la technologie a aussi permis la diffusion de contenus à moindre prix auprès d’une large population. L’accès à des encyclopédies gratuites, des livres numériques gratuits, les études scientifiques en accès libre, des médias gratuits sur Youtube par exemple, pour peu que l’on sache les choisir. Il est possible d’accéder au monde entier sans obstacle et quelle que soit sa condition. Et cela présente en effet des dangers avec des contenus qui ne devraient pas exister. Mais c’est le politique qui peut garantir davantage de sécurité sur ce sujet, et c’est ce même politique qui peut organiser une formation des citoyennes et des citoyens pour que le voyage dans les écrans soit un voyage utile, instructif et sans nocivité. La crise Covid fut une démonstration que les écrans ont permis de sauver des millions de personnes par la diffusion d’informations sur la santé, mais aussi par la diffusion de contenus culturels ainsi que pour garder le lien entre les personnes, les familles, les amis.

Il ne s’agit pas ici de faire un éloge des écrans, mais de les ramener à leur juste place : des outils. Créer une chimère d’un outil, affubler cette chimère de fake pseudo scientifiques afin de dicter aux citoyennes et citoyens quels sont les bons écrans et quels sont les mauvais quand le gouvernement est lui-même dans l’incapacité de faire preuve de rigueur intellectuelle sur cette question, ne peut que générer davantage de confusion. Réduisons les écrans qui polluent, réduisons les contenus nocifs, ceux qui n’apportent rien à personne ou qui apportent des informations dommageables, et apprenons à vivre avec ces outils en les laissant à leur place. Ayons une politique ambitieuse d’accès réel à la culture pour toutes et tous, des informations concrètes pour maîtriser les outils numériques, une école centrée sur la formation à l’esprit critique et à l’analyse rigoureuse des contenus et diversifier les modes d’accès aux contenus permettant d’apprendre. Ce n’est pas une question de santé publique, mais de volonté politique.

Crédit photo : Julia Filirovska

 

2 réflexions sur “Écrans et enfants : l’impensé des espaces publics”

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